Une travailleuse sociale sanctionnée à la suite du suicide d’un enfant

Une travailleuse sociale sanctionnée à la suite du suicide d’un enfant
By Gabrielle Cantin, Initiative de journalisme local, Le Soleil

Une travailleuse sociale a été blâmée par son ordre professionnel pour «son manque de diligence» dans le dossier d’un enfant qui s’est enlevé la vie, sans qu’aucun intervenant ne le prenne en charge.

Au moment des faits qui lui sont reprochés, Diane*, une travailleuse sociale membre de la Nation crie, cumule 16 ans d’expérience, dont 14 en milieu autochtone.

Elle occupe un poste de coordination dans le centre de santé d’une communauté, où elle est chargée d’évaluer et d’«assigner les dossiers aux intervenants pour assurer le suivi».

Nous éviterons de mentionner plusieurs détails du dossier pour éviter d’identifier la famille impliquée.

En 2023, une série d’infractions «sérieuses et objectivement très graves» à ses responsabilités professionnelles mène Diane devant le Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ).

Selon le jugement rendu le 8 octobre dernier, une prise en charge conforme aux normes de prévention du suicide et un suivi plus rigoureux «auraient pu avoir un impact sur la suite des événements» qui ont mené à la mort de l’enfant.

Aucun intervenant

Le 2 novembre 2022, une intervenante du CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue signale une première fois à l’équipe de Diane le dossier d’un enfant qui présente d’importants «facteurs de risque à la détresse psychologique».

Sans réponse après deux semaines, le CISSS ramène la situation à l’attention de Diane, qui n’a jusqu’alors pas donné suite aux demandes de prise en charge.

Le jour même, Diane assigne finalement l’une de ses collègues au cas, sans toutefois procéder à l’ouverture du dossier.

Aucun suivi n’est effectué auprès de l’enfant avant le 21 novembre, lorsque l’équipe de Diane communique avec la famille de l’enfant. Un membre de son entourage indique alors que l’enfant est absent de son domicile pour la semaine. «Aucune autre démarche n’est effectuée», écrit le Conseil de discipline dans sa décision.

Dans la nuit du 2 décembre 2022, un mois après le signalement initial, l’enfant met fin à ses jours dans le sous-sol du domicile de sa tante.

«Aucun intervenant du centre de santé n’a parlé ou rencontré l’enfant avant son suicide», détaille la décision.

Un «grave» manquement aux normes

En ne confirmant pas la réception du signalement, en omettant de contacter la famille de l’enfant et en négligeant d’ouvrir un dossier, Diane «s’est écartée de manière grave des normes en matière de prévention du suicide dans le dossier de l’enfant», tranche une experte assignée à l’enquête.

Les responsabilités associées au poste de coordination de Diane nécessitaient d’entreprendre davantage de démarches à la suite du signalement initial, souligne le rapport d’expertise.

En «recontactant [l’enfant] dans un délai rapide», Diane «aurait pu comprendre qu’une évaluation du risque suicidaire et la mise en place d’un filet de sécurité autour de cette jeune auraient dû être faites rapidement», juge l’experte.

«Dès que [Diane] a eu connaissance que [l’enfant] présentait plusieurs facteurs de risques à la détresse psychologique, elle aurait dû prendre tous les moyens nécessaires pour rapidement prendre contact avec la cliente et intervenir selon les standards de pratique», ajoute-t-elle.

«Une règle de base»

Les événements de 2022 ne constituent pas la première offense de Diane, révèle la décision rendue par le Conseil de discipline.

En 2012, alors que le service de première ligne dans lequel Diane travaille à titre de travailleuse sociale vient tout juste d’ouvrir ses portes, une collègue lui rapporte que deux enfants sous leur responsabilité se retrouvent dans une situation qui «excède leurs capacités».

Les enfants vivent dans une maison insalubre, où la présence de moisissure, d’urine et d’excréments fait craindre pour leur sécurité, rapporte le résumé des faits.

Informée de la situation, Diane incite [sa] collègue — alors sous sa responsabilité ― à ne pas faire suivre de signalement à la Direction de protection de la jeunesse (DPJ), comme «le lien de confiance avec la famille [est] toujours à développer».

En incitant sa collègue à procéder de la sorte, Diane l’encourage à contrevenir «à son obligation de signaler une situation de négligence à la DPJ», tranche le Conseil de discipline.

«Il s’agit d’une règle de base que tout travailleur social doit connaître et se doit scrupuleusement de suivre. Il en va de la sécurité et du développement d’un enfant», écrit le conseil dans la décision.

Réprimandée et radiée

Au début du mois, le Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) a reconnu Diane coupable des deux chefs d’accusation qui pesaient contre elle.

Diane a non seulement failli à l’obligation de se conformer aux normes de sa pratique, en vertu du Code de déontologie, mais aussi à l’image de la profession, juge le Conseil.

«Cette infraction […] brise le lien de confiance du public envers la profession», peut-on lire dans le jugement.

Considérant le risque de récidive «faible», le Conseil impose une sanction qui «pourrait être jugée, à première vue, […] clémente», convient l’organisation.

Diane, qui s’est retirée volontairement du tableau de l’Ordre le 1er avril 2024, a reçu une réprimande.

Si Diane veut s’inscrire de nouveau à l’Ordre, une période de radiation de six semaines lui sera imposée.

*Une ordonnance de non-publication protège l’identité de l’enfant ainsi que tous renseignements pouvant permettre de l’identifier. Nous avons choisi de ne pas identifier la travailleuse sociale en faute.

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