Ce qu’il faut comprendre de la fin des négociations commerciales décrétée par Donald Trump

By Alex Fontaine, Initiative de journalisme local, Le Devoir

Dans un énième rebondissement de la fronde tarifaire menée par les États-Unis, le président américain, Donald Trump, a annoncé tard jeudi soir qu’il mettait fin aux négociations commerciales avec le Canada. Voici ce que ça implique.

Pourquoi Trump a-t-il mis fin aux négociations ?

Le président américain n’a pas digéré la campagne publicitaire du gouvernement ontarien, payée quelque 75 millions de dollars et diffusée sur plusieurs chaînes de télévision américaines, dans laquelle on présente un extrait de discours prononcé par Ronald Reagan en 1987. L’ancien président républicain se porte à la défense du libre-échange et prévient les Américains que l’imposition de tarifs à des pays tiers nuit aux entreprises et aux citoyens américains.

Donald Trump s’est indigné de l’offensive publicitaire menée par le premier ministre ontarien, Doug Ford, un fervent partisan de la ligne dure dans les négociations commerciales avec les États-Unis. Sur son réseau Truth Social, le président a affirmé que le Canada tentait d’« influencer illégalement la Cour suprême » américaine, qui étudie présentement la légalité des droits de douane imposés par la Maison-Blanche. En conséquence, il a mis fin aux négociations commerciales avec Ottawa.

M. Trump a aussi écrit que le Canada a « frauduleusement publié une grande annonce disant que Ronald Reagan n’aimait pas les droits de douane », alors qu’il n’en est rien, selon lui. Pourtant, « une chose est sûre, c’est que la philosophie de Reagan était effectivement une philosophie pro-libre-échange et anti-tarifs », confirme le professeur de droit international à l’Université Laval Richard Ouellet.

Doug Ford a fait savoir sur X vendredi après-midi qu’à la suite d’une discussion avec le premier ministre Mark Carney, l’Ontario a décidé de « suspendre sa campagne publicitaire aux États-Unis à compter de lundi afin que les négociations commerciales puissent reprendre ».

Qu’est-ce qui change en matière de tarifs ?

Rien. D’ailleurs, la fin des négociations n’est pas nécessairement une catastrophe, estime Geneviève Dufour, professeure à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et spécialiste du libre-échange, puisqu’en l’absence d’un nouvel accord commercial, c’est l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) qui continue de s’appliquer.

Et cet accord, c’est probablement le meilleur qu’on puisse espérer conclure, selon elle. Ainsi, « on n’a aucune urgence à conclure un deal avec quelqu’un qui, aussitôt que le deal va être conclu, va s’amuser à le remettre en cause et à le violer ».

Au-delà de l’entente de libre-échange, M. Trump tend à privilégier des ententes à la pièce pour différents secteurs. Le ministre responsable du Commerce Canada–États-Unis, Dominic LeBlanc, est régulièrement à Washington pour tenter d’en arriver à un accord qui porterait « à tout le moins sur l’acier et l’aluminium », rappelle Richard Ouellet. « C’est ça qui est arrêté, mais ça ne met pas en place de nouveaux tarifs. »

Quels sont les tarifs en vigueur en ce moment ?

Les biens canadiens conformes à l’ACEUM demeurent exemptés de tarifs. Cela fait en sorte que 88 % des exportations canadiennes à destination des États-Unis n’ont pas été soumises à des droits de douane en juillet, selon une analyse de Desjardins publiée la semaine dernière.

Certains secteurs sont toutefois beaucoup plus touchés que d’autres et ne bénéficient pas d’exemptions tarifaires sur une part importante de leurs exportations. C’est notamment le cas de l’acier, de l’aluminium et du cuivre, qui sont frappés par des droits de douane de 50 %. Des tarifs de 25 % s’appliquent aussi aux voitures et aux composantes qui ne sont pas fabriquées aux États-Unis.

Le gouvernement de Mark Carney a quant à lui abandonné la plupart des contre-tarifs qu’il imposait aux produits américains. Jeudi, il a toutefois annoncé qu’il va limiter le nombre de véhicules provenant des États-Unis exemptés de droits de douane, en riposte à la décision de Stellantis et de General Motors de transférer une partie de leur production canadienne de véhicules aux États-Unis.

À quoi peut-on s’attendre pour la suite des négociations ?

Vendredi, le premier ministre Carney a assuré qu’Ottawa poursuivra les négociations « quand les Américains seront prêts ». « Je pense que la position du Canada est la bonne », note Richard Ouellet. « On sait que le président des États-Unis est connu pour changer de position très rapidement », ajoute le titulaire de la Chaire sur les nouveaux enjeux de la mondialisation économique. « Je suis porté à penser que ça ne sera pas trop difficile de se rasseoir avec les États-Unis pour reprendre le dialogue. »

Geneviève Dufour rappelle au passage certaines modalités de l’ACEUM. Entré en vigueur en juillet 2020, l’accord est valide 16 ans. L’an prochain, les trois partenaires vont se rencontrer pour réviser le fonctionnement de l’accord et éventuellement le renouveler pour une autre période de 16 ans. Si un des pays signataires souhaite y apporter des changements, ceux-ci doivent toutefois être adoptés à l’unanimité.

Par ailleurs, un pays peut se retirer de l’accord à tout moment en donnant un préavis de six mois. Donald Trump pourrait donc retirer les États-Unis de l’accord, mais « il ne fera pas ça », selon Mme Dufour. « Il faut toujours se rappeler que chaque fois qu’il impose des droits de douane, ce sont ses produits à lui qui sont plus chers et ce sont les Américains qui payent. »

Quant à la possibilité d’ententes sectorielles, « ce n’est pas avec ce genre de négociations qu’on va régler les problèmes de manière générale, soutient la professeure. À long terme, ce qu’on veut, c’est que ça s’arrête ».

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